Encore cette année...

Le temps des olivades est revenu.

Comme il y a quatre à cinq mille ans peut-être, le temps des olivades est revenu. Je suis là dans cette olivette que je n’ai pas plantée, que d’autres du même pays que moi ont établie ici, sur les terrasses alluviales de la rivière Hérault où mon village s’est enraciné.

C’est la même brume portée par le vent de la mer, qui enveloppe le paysage. Les draps, quatre sacs de jute, qu’autrefois mes parents ont cousu, sont étendus sous les branches. Perché sur la cabrelle de bois, submergé par la luxuriante frondaison d’un arbre d’olivière, je croise à chaque mouvement de la tête ou du tronc, l’éclair des olives brunes comme autant de sourires de ces filles de la Méditerranée. Entre les doigts des membres de la famille, réunis dans le même travail, les cordons de fruits dégringolent et s’amoncellent dans un bruit mat,sur la toile tendue. Il fait doux, la récolte est abondante et de cette harmonie entre les êtres et les choses, naît quelque sentiment qui ressemble au bonheur. Il est cinq heures et déjà la nuit vient estomper les lignes. Dans le calme revenu l’horloge du village laisse rouler une a une les heures, comme des perles sur le manteau de la nuit. Marque-t-elle le temps qui passe ou la palpitation de la vie transmise d’age en age et qui ici, s’éternise?

Les fruits rassemblés, dévalent en cascade d’un seau dans l’autre et le vent du soir de ses doigts invisibles, dans un froissement discret écarte adroitement les feuilles.

A deux pas d’ici ,mes grands parents, mes parents dorment leur dernier sommeil sur cette terre ou leur vie durant, ils ont mêlé leur sueur à celle d’une multitude qui a vécu là; designé ce lieu comme moi aujourd’hui, du nom de « notre patrie... »

Je sais, cette nostalgie a bien peu de poids devant les exigences actuelles de l’économie, de la rentabilité; devant le vrombissement des machines à cueillir, les règles féroces de la concurrence des voisins...

Mais pour les tempérer un peu, si nous évoquions une autre force, celle qui unit les gens autour de la Méditerranée, dans la simplicité, la pauvreté des objets et des gestes éternels nés de leur intelligence et de leurs mains! Je pense a tous ceux qui, aujourd’hui tentent de résoudre les multiples questions que l’olivier n’en finit pas de poser; ceux qui dans le verger affrontent les mêmes épreuves, nourrissent les mêmes espoirs! lls sont membres d’une même famille parce que fils d’une même mer et, de tous ceux-là, je me sens si proche en cet instant...

Si conscients de cette fraternité il n’y avait plus entre arabes, israéliens, grecs ,italiens, français ou espagnols que des hommes respectueux des valeurs de paix, de fraternité, d’éternité! Ces valeurs que leurs pères au travers des siècles ont laborieusement accrochées a l’olivier afin que, sur les épaules de son éternité, il les porte jusqu’à nous et à ceux qui viendront! Alors on ne verrait plus ces tracteurs ennemis, arrachant les arbres de ceux que, dans leur aveuglement, ils croyaient leurs adversaires, mais des petits enfants agitant des rameaux d’olivier sur le passage de tous les hommes de bonne volonté à la recherche de la paix. Là-bas, au loin, sur le rebord du Larzac, le mont Saint Baudille allume son phare... Il veillera sur la plaine, témoin des peines et des joies de la journée accomplie et des rêves a venir.

Michel BRENGUES Décembre 2000